Qu’est-ce qu’il y a eu en commun, en Alsace, entre une ferme-usine prévue pour 692 000 poulettes, et un projet de ferme-usine de 1200 taurillons ? Dans les deux cas, l’étude d’impact n’a pas évalué les émissions d’ammoniac. Ces émissions ont été minimisées, voire niées. Alsace Nature avait introduit un recours contre l’autorisation des poulettes et a été déboutée.
Transparence sur l’évaluation des décès induits, mais pas sur l’évaluation des émissions en cause ?
Le jugement du 22 juin a considéré que l’omission d’une évaluation chiffrée des émissions n’a « pas été de nature à empêcher la population de faire connaître utilement ses observations sur ce document lors de l’enquête publique, ni de conduire l’autorité administrative à sous-estimer les conséquences du projet sur l’environnement … ».
Il se trouve que la veille du jugement, la revue « Santé publique » a publié les estimations de décès supplémentaires (des milliers chaque année) induits par la pollution de l’air par les particules fines dont l’ammoniac est un précurseur. Or le jugement condamne Alsace Nature à payer 800 euros pour avoir demandé la transparence sur les émissions d’ammoniac.
Une approche laxiste, trompeuse, ou peu honnête
Dans le dossier des poulettes, la dilution des émissions a été confondue avec la réduction des émissions.
Dans l’instruction du dossier des taurillons, les émissions d’ammoniac sont quasiment niées. Il est exact qu’il vaut mieux avoir une litière qu’un caillebotis (il n’est pas question de contester cela). Toutefois, il vaut encore beaucoup mieux laisser pâturer les bêtes, parce que les pissats s’infiltrent dans la terre et n’émettent plus. Aussi l’étude d’impact passe sous silence les émissions de gaz à effet de serre par les bovins !…. ce qui évite de faire prendre conscience que les pâtures stockent du carbone et peuvent donc partiellement compenser ces émissions.
Aussi, dans les deux dossiers, l’amalgame entre nuisance locale et émission atmosphérique reste tenace. Les émissions peuvent gêner le voisinage, mais la nuisance est en grande partie fonction de la distance, alors que les émissions sont émises qu’il y ait gêne ou non, et peuvent avoir des impacts à distance, sur les milieux naturels, et sur la santé publique.
Les procédures d’autorisation des installations classées d’élevage : le non-dialogue programmé
Dans un premier temps, Alsace Nature (tout en se réservant l’éventualité de faire appel de ce jugement) a écrit aux Ministres de l’Ecologie et de l’Agriculture pour leur demander si selon eux le législateur prévoit que des grandes installations classées ne doivent pas chiffrer leurs émissions ? Et si oui, est-ce compatible avec les obligations européennes ? Alsace Nature a aussi émis de nombreuses propositions pour réformer – oh que c’est nécessaire ! – les procédures autour des installations classées d’élevage :
Lisez la lettre ouverte avec ses 17 questions précises, et l’Annexe
qui relate les observations qui sont à la base des questions.
L’agrocratie en cause, mais pas seule
Nous vivons dans une drôle d’ambiance où les tromperies et tricheries éclatent les unes après les autres. L’agrocratie qui impose son productivisme n’est pas seule en cause. Le mensonge du nucléaire sûr et bon marché s’est effondré. Les constructeurs automobiles ont mené tout le monde en bateau. Leurs émissions d’oxydes d’azote se combinent avec l’ammoniac agricole pour former ces particules fines qui causent des accidents vasculaires, des maladies cardiaques et respiratoires, des cancers, des maladies neurodégénératives, ou les aggravent. Entretemps a aussi éclaté un scandale autour des conflits d’intérêt des experts officiant en matière d’étiquetage alimentaire. Les conflits d’intérêt des experts en pesticides sont notoires. Le climat se porte mal : le dernier rapport annuel sur le climat fait état de tous les records en matière de réchauffement et de perturbations. Or les productions animales avec leur surproduction notoire et délibérée ne sont pas étrangères à la plupart de ces drames !
Le monde agricole a longtemps bénéficié, dans les diverses instances, d’une indulgence bienveillante et paternaliste : travailler dur, élever ses bêtes, cultiver les champs, être bons voisins… c’est respectable. Mais une agriculture industrialisée ne peut plus prétendre à être exemptée de rigueur, de rationalité et même, lorsqu’il le faut, d’une remise en question fondamentale.
« L’économique » ne peut pas être sauvé par le mensonge et le déni !
Alors exigeons qu’on dise la vérité, et encore la vérité ! Arrêtons de sanctuariser les activités économiques. Si nos responsables doivent prendre des décisions justes et que les citoyens doivent comprendre et plébisciter les changements de comportements qui sont indispensables, il faut arrêter d’occulter les causes et les conséquences de nos dérives. Une étude d’impact a aussi sa part de responsabilité.