Agribashing vs gouvbashing

Le Ministre de l’Intérieur a communiqué dans une porcherie non conforme à la loi. Ce n’était pas pour faire (enfin !) appliquer les normes minimales pour la protection des porcs, mais pour promouvoir l’amalgame entre d’un côté la délinquance et criminalité (vols, incendies…) envers des agriculteurs, et de l’autre des actes militants pour les animaux soumis à des conditions de vie et de mise à mort insoutenables.

Les Ministres s’attaquent aux actions symboliques commises pour motif éthique

Les Ministres de l’Agriculture et de l’Intérieur ont créé une cellule spécialisée dite « Démeter »[1] dont le périmètre est expressément élargi aux actions dites de nature idéologique, à savoir des actions anti-fourrure, anti-chasse, anti-abattoirs…. Ces actions sont visées, qu’il s’agisse de simples actions symboliques de dénigrement du milieu agricole ou d’actions dures ayant des répercussions matérielles ou physique.

Serons-nous désormais suivis par la gendarmerie si nous commettons des actions symboliques pour faire connaître la vérité et rien que la vérité, et qu’il se trouve que la vérité fait mal ?

Le Ministre dans une porcherie non conforme à la loi

Il est remarquable que la porcherie défendue par le Ministre[2] contre l’intrusion d’une ONG[3]  ne respecte pas les normes minimales, à savoir l’obligation de confort physique et thermique pour les porcs, ni (en tout cas pour les extraits visibles sur les images) l’accès permanent à des matériaux manipulables suffisants, ni l’interdiction de caudectomie de routine (les queues étant sectionnées). Cela montre une fois de plus l’incapacité et le manque de volonté politique du gouvernement en matière de respect des normes minimales. La France est mauvais élève, comme cela a été maintes fois constaté par la Commission européenne. Mais la langue de bois dit que tout est rigoureusement contrôlé par les services de l’Etat, qui n’en ont pourtant ni les moyens ni la mission. C’est donc face à la défaillance des Services vétérinaires que les ONG de protection ou de libération animale viennent filmer dans les élevages et abattoirs. Cette raison a d’ailleurs été reconnue comme justifiée par la jurisprudence allemande. Il n’est donc pas étonnant que la FNSEA veuille prendre les devants pour empêcher l’émergence d’un tel droit de défendre des animaux qui souffrent dans des conditions illégales.

Cogestion idéologique

Tout le monde peut comprendre et approuver que les vols de matériel agricole et les incendies criminels nécessitent le déploiement de moyens adaptés de la part de la gendarmerie. Il est par contre difficile de comprendre qu’il faille une convention tripartite entre le ministre de l’Intérieur, la FNSEA et les JA dans ce but. Quid des autres syndicats ?

De quel droit la gendarmerie devrait-elle prendre parti pour la chasse et pour la fourrure, pour la viande et pour le grand gaspillage agro-alimentaire et contre la liberté d’expression par des actions symboliques, alors qu’il existe une évolution sociétale vers plus d’humanité envers les animaux et une crise écologique qui fera des centaines de millions de réfugiés climatiques ? Protégeons les lanceurs d’alerte, y compris lorsqu’ils pénètrent illégalement dans des élevages et abattoirs (de plus en plus barricadés pour maintenir l’insoutenable) – dans la mesure où l’inaction des autorités le justifie ! La défense de ceux qui sont sans-défense est légitime.

Préfecture du Bas-Rhin : langue de bois et inefficacité

Le Préfet du Bas-Rhin par exemple a déjà donné naissance à l’Observatoire départemental du dénigrement agricole (une cellule de veille et de prévention de l’agribashing). L’article sur le site de la Préfecture[4] dit que l’analyse de la situation locale confirme les mises en cause répétées de la profession agricole. Il est affirmé en gras que les agriculteurs du Bas-Rhin ont toujours su adapter leurs productions…, répondant aux normes environnementales et du bien-être animal. Caillebotis intégral et cages de maternité pour les porcs et chaînes comme seuls matériaux manipulables, zéro pâturage pour les vaches et chèvres, écornage sans anesthésie, poulets intensifs, poules en cages et pseudo-plein air… la profession et les services de l’Etat semblent ne pas vouloir comprendre que normes minimales (encore faut-il qu’elles soient respectées ce qui est loin d’être acquis) et bien-être sont deux choses très différentes. Ce n’est pourtant pas difficile. Mais langue de bois quand tu nous tiens… Il faut souligner, pour ce qui concerne le Bas-Rhin, que le colloque sur le bien-être animal à Obernai du 8 novembre 2018, qui était pourtant prometteur, n’a généré AUCUNE action NI le MOINDRE PROGRÈS, NI même la MOINDRE SUITE en termes de concertation avec les ONG, ce qui reflète bien l’indifférence, l’inefficacité et le manque d’écoute pour ne pas dire le mépris de la part de l’Etat en la matière. Alors que par ailleurs des fonds européens Interreg sont mobilisés pour l’élevage.

Diviser pour laisser régner pesticides, barbarie et libre échange

Comme par hasard, l’Observatoire du dénigrement agricole naît au moment où le gouvernement décide d’accorder aux riverains très peu de protection contre l’épandage de pesticides dont la plupart sont bien plus redoutables que ce que suggèrent les pouvoirs publics. S’agirait-il de dissuader les critiques afin de mieux protéger l’usage des pesticides ? Sans doute que oui.

Mais le gouvernement pourrait avoir encore un autre intérêt. Sa loi EGalim (loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous) est un échec en ce qui concerne des rémunérations plus équitables pour les producteurs agricoles. Quoi de plus retors que de rediriger les rancœurs de la profession agricole contre ceux qui réclament la sortie des pesticides, qui dénoncent les conditions de vie des animaux d’élevage, et qui  constatent l’effondrement de la biodiversité en milieu agricole ?

Car celui qui est sous le feu des critiques, à la fois des agriculteurs et des environnementalistes et des protecteurs des animaux et.. et… c’est bien le gouvernement lui-même ! Quoi de plus malin pour un tel gouvernement que d’attiser les conflits entre profession agricole et société dite civile ! La recette de monter les uns contre les autres est bien rodée pour détourner l’attention en période de gouvbashing. Car c’est le gouvernement qui veut le CETA, qui ne régule pas la grande distribution, qui détricote la protection de l’environnement et qui se moque des privations subies, de la peur et de la douleur des blaireaux, cerfs, grives, cochons, veaux, canards gavés, taureaux et autres victimes de la barbarie à la française et d’une ‘compétitivité’ brutale. Ainsi le gouvernement reste constant dans son manque de compassion. De toute évidence, le président Macron dans ses castings ne coche pas la case ‘empathie’.

Appel à nos associations

Quant à nos propres associations qui contestent et dénoncent, que nos propos soient rigoureusement justes, fondamentalement bienveillants et courtois. Nous n’avons pas à attiser des haines. On peut pardonner à ceux qui ne savent pas ce qu’ils font (parce que leurs instances professionnelles ont verrouillé l’information avec la complicité de l’Etat). Que celui qui n’a jamais pollué et qui n’a jamais été complice de cruauté lance la première pierre ! Mais il est de notre devoir de dénoncer la diffusion de mensonges et la manipulation de l’opinion par calcul économique et politique. Parce qu’il y a des victimes. Nous, qui contestons et dénonçons parce que dans notre âme et conscience nous estimons que c’est notre devoir, sommes en droit d’être écoutés. Mais tant que la FNSEA peut être confiante de pouvoir tirer les ficelles de l’Etat, elle peut se permettre de nous mépriser.

Ce serait quand même trop triste que, au lieu de favoriser l’écoute et le progrès concret, la fonction de la haute administration puisse pratiquer l’hypocrisie, la primauté de la communication sur la sincérité, et faire penser, pour certains aspects, à la définition du ‘bullshit job’  de David Graeber.

Article rédigé par Anne Vonesch

 

[1] https://agriculture.gouv.fr/demeter-une-cellule-nationale-pour-lutter-contre-lagribashing-et-les-intrusions-dans-les

[2] https://www.cnews.fr/videos/france/2019-12-13/agriculture-christophe-castaner-presente-une-cellule-de-lutte-contre

[3] https://www.lexpress.fr/actualite/politique/lfi/l-intrusion-d-un-depute-lfi-dans-un-elevage-porcin-suscite-l-indignation-du-monde-agricole_2080238.html

[4] http://www.bas-rhin.gouv.fr/Actualites/Territoires/Denigrement-agricole-Jean-Luc-Marx-installe-un-observatoire-departemental