Les pires élevages se financent avec les fonds de la transition énergétique

L’agro-industrie s’approprie l’argent public par tous les prétextes. Elle décide de la PAC. Elle met les Agences de l’Eau et l’ADEME à son service. Au secours, M. Hulot ! Votre transition énergétique est détournée pour financer la distorsion de concurrence en faveur des pires élevages industriels !

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L’ammoniac nuit à la santé publique

Enfin, la haute administration l’a compris. Après avoir simplifié et accéléré les procédures d’installation et d’agrandissement des grands élevages, après avoir totalement négligé l’impact sur l’air au niveau de la procédure d’enregistrement des grands élevages et des arrêtés préfectoraux-types, après avoir puisé ses compétences techniques auprès des filières d’élevage (juges et parties), bref, après avoir fait tout ce que les filières de l’élevage industriel voulaient,  la haute administration a enfin compris qu’il fallait faire quelque chose pour réduire les émissions d’ammoniac et sauver des vies humaines menacées par les particules fines dans l’air. Ouf.

Mais qui passe à la caisse ?

Pollueur payé

Donc, les élevages industriels polluent ? La FNSEA et nos Ministères ont une manière bien rodée de voir les choses et de réagir.  Les porcheries industrielles sont accusées d’être puantes, polluantes, cruelles, prédatrices ? C’est qu’il faut en toute urgence assurer leur pérennité et sécuriser leurs agrandissements tout en les rendant moins attaquables et tout en respectant la réglementation européenne (ou en faisant semblant). Comment faire ? Investir, c’est la sacro-sainte recette ! Et l’Etat (= le contribuable, c’est nous) paie environ la moitié de la facture !

En effet, comment nos Ministères pourraient-ils laisser passer la « stigmatisation » de nos petits et grands businessmen du porc et de la volaille ? Au nom de la sacro-sainte compétitivité, il faut leur payer des laveurs d’air !

Plus grotesque tu meurs !

Une caricature ne pourrait pas faire plus grotesque que cette réalité. Oui, l’élevage industriel pollue l’air, oui, cette pollution par l’ammoniac et les particules fines impacte la santé publique, oui, il faut agir contre cette pollution.

Mais ce serait (enfin) le bon moment pour se poser la question si nous avons besoin de tout cet élevage industriel et polluant ? S’il nous est utile ? S’il est bon pour notre santé d’en consommer autant ? S’il est bon pour notre environnement d’en produire autant ? Si l’emploi en milieu rural prospère grâce à lui ? Si la société plébiscite cette activité économique ? Si de cette manière les grands cycles de l’azote et du carbone sont gérés au mieux pour les générations futures ? Les ressources naturelles économisées ? Les pesticides abandonnés ? Les animaux épanouis par une vie en plein air ? La réponse est à chaque fois NON, et encore NON.

Donc, logiquement, si cette production industrielle de porcs n’est pas utile, mais franchement pénible et nuisible et en manque criant d’éthique envers les animaux, est-ce qu’il faut la maintenir ? La réponse est NON, et encore NON, en toute bonne logique.

Mais la cogestion entre FNSEA et pouvoirs publics voit cela autrement : plus le modèle est critiqué, plus il faut le financer pour le pérenniser. Vous n’allez tout de même pas stigmatiser ces pauvres éleveurs passionnés par leur métier !

Pomper l’argent public vers l’agro-industrie

La triste réalité est que nous avons face à nous un système extrêmement bien rodé, profondément enraciné, avec des excroissances de partout, dont la raison d’être est la recherche de financements publics pour la production agricole. Celle qui nous nourrit, qui enrichit notre balance commerciale, et qui fait vivre nos campagnes et nos lieux de vacances et de souvenirs ?

Il y a quelques gros malentendus :

D’abord, il s’agit de l’argent du contribuable, qui aurait donc logiquement son mot à dire dans l’utilisation de ses impôts. Or, la gouvernance actuelle ne le permet pas. Les objectifs politiques pour les lignes budgétaires sont formulés de manière à pouvoir financer au choix le meilleur et le pire. Les choses se décident entre gouvernement et FNSEA, entre Conseils régionaux (ou plutôt leurs comités techniques) et Chambres d’agriculture. Il faut être expert pour comprendre cette usine à gaz. Je n’ai jamais de ma vie été « remise à ma place » avec autant d’arrogance que lorsqu’un élu régional (présidant une commission agricole) a interdit au fonctionnaire de la Région de répondre à ma question : comment connaître les décisions concernant les aides aux bâtiments d’élevage ?

Ensuite, la volonté sociétale est de rendre l’agriculture plus durable, plus sociale, plus environnementale, plus respectueuse des animaux. Beaucoup d’argent public est dépensé, et pourtant la biodiversité régresse, les emplois sont détruits, les pesticides sont toujours là (dans l’eau, dans l’air, dans les aliments), les animaux souffrent au nom de la performance.

Finalement, l’illusion était d’assurer un revenu aux paysans. Or, lorsque les exploitations s’agrandissent, beaucoup d’aides sont absorbées par les fournitures. Les leaders de la FNSEA ne parlent que d’investissements  (normal, si on est proche du Crédit Agricole) !  Les élus répètent l’incantation magique : compétitivité ! Mais qui en profite ? L’agro-industrie, qui fait toujours miroiter un nième petit gain de baisse des coûts, d’économie d’échelle et de compétitivité. Mais chaque fois que l’éleveur augmente sa productivité, le gain est absorbé par l’aval. Le producteur gagne moins. Et les industries amont (les équipements) et aval absorbent l’effort que fait la société pour ses paysans. La distribution matraque cet effort à coups de pression sur les prix. Et la société est déçue et en colère face aux élevages concentrationnaires et aux pulvérisateurs !

Détourner l’argent public destiné à la transition énergétique

L’argent public détourné vers les filières agricoles industrielles vient de partout.  Cette fois-ci, les investissements pour réduire les émissions d’ammoniac sont financés par le Fonds de financement pour la transition énergétique du MEEM (aujourd’hui Ministère de la Transition écologique) à hauteur de 10 M € (niveau mars 2017). Mais qu’est-ce que l’ammoniac a à voir avec la transition énergétique ?  Le lien n’est pas extraordinairement direct. Fallait-il trouver de l’argent public quelque part ? Qu’on nous l’explique !

Le superflu de production et de consommation de produits d’origine animale est un immense gaspillage en soi. Alors comment peut-on prétendre économiser quoi que ce soit en développant les productions animales ?

Les Aides d’Etat, un outil réglementé et perverti/ble

Le programme d’aide accordé par le MEEM aux investissements matériels dans les exploitations agricoles en faveur de la qualité de l’air[1]  fait partie des aides d’Etat. En Annexe du programme sont listés tous les investissements éligibles, dans le cadre de la réduction des émissions d’ammoniac. Il s’agit d’accompagner l’entrée en vigueur du nouveau BREF avec sa liste des Meilleures Techniques Disponibles, à appliquer d’ici 2021. Chaque fois qu’arrive une contrainte, le contribuable doit payer ! Le plafond des sommes éligibles est de 100 000 €, le taux d’aide est de 40 %, plus 20 points pour les jeunes agriculteurs et pour les projets collectifs.

Les aides d’Etat doivent être notifiées à la Commission européenne pour vérifier qu’elles sont conformes aux règles du marché unique et ne créent pas de distorsion de concurrence. Ces investissements pour la qualité de l’air s’intègrent dans le programme agricole Régime d’Aide d’Etat n° SA.39618[2] (investissements liés à la production primaire).

Ce qui est malheureux c’est que ce programme permettrait de financer directement par l’Etat des élevages particulièrement vertueux tant pour la biodiversité que pour le bien-être des animaux – ce qui serait superbe ! -, mais qu’en réalité l’Etat s’en sert pour financer ce qu’il y a de pire : le maintien des élevages industriels. Alors que le Ministre Stéphane Travert prétend ne pas avoir les moyens de financer le maintien de l’agriculture biologique !

Créer un Certificat d’Economie d’Animaux d’Elevage !

La seule option viable dans la durée est de réduire le cheptel. C’est pourquoi il serait pertinent de créer un Certificat d’économie d’animaux d’élevage. Les Certificats d’économie d’énergie sont monnaie  courante, les Certificats d’économie de produits phytosanitaires se mettent en place.  Ce sont des outils de la transition. Chaque fois qu’un éleveur réduirait son cheptel, il recevrait des aides pour transformer son exploitation en un système plus vertueux ! Voilà ce qui correspondrait aux impératifs environnementaux pour rétablir des cycles équilibrés de l’azote et du carbone dans la durée, et à l’attente sociétale d’un élevage respectueux des animaux.

Tout en gardant des aides au maintien des systèmes les plus vertueux, en particulier  les petits élevages en plein air et riches en main-d’œuvre.

Une telle approche pourrait se concevoir avec un plan territorial pour l’alimentation.

Le lavage d’air en élevage industriel, un système qu’il faut interdire !

Une boutade (vu qu’il faut réduire les émissions) ? Pas tant que ça. En effet, le  lavage d’air dans une porcherie s’applique à un modèle de production qui ne devrait même plus exister : en bâtiment fermé, sans ventilation naturelle, peu de lumière, animaux entassés, pas d’accès à l’air frais, chauffage et ventilation énergivores,  automatisation du travail avec caillebotis intégral. Ces élevages sont dans l’illégalité, vu qu’ils n’assurent pas le confort physique ni thermique requis pour les animaux, et qu’ils pratiquent la section routinière de la queue (ce qui est interdit), et que les matériaux dits manipulables fournis (souvent une simple chaîne) n’ont pas les qualités requises définies par la Commission européenne.   Résultat : stress chronique des animaux, privation de comportements naturels essentiels, truies à morbidité élevée, etc. Et on voudrait rendre ce système « clean » ?

Que le pollueur soit le payeur !

Ce système inhumain prétend être compétitif. Or il ne l’est pas. S’il l’était, les producteurs industriels n’auraient pas besoin d’aides pour maîtriser leurs pollutions. Les aides publiques accordées à ce système industriel accentuent la distorsion de concurrence au détriment des élevages alternatifs, plébiscités par la société. C’est du dumping bête et méchant, aux conséquences désastreuses.

Ainsi un petit élevage en plein air est réputé plus cher, pourtant il n’a nullement besoin de lavage d’air ni même de masses de béton pour stocker du lisier. Il a besoin d’espace, de litière, d’un machinisme bien plus modeste.

La solution technologique en bout de tuyau comme le lavage d’air est adaptée à un processus physico-chimique, pas au vivant. Les animaux ont besoin d’air frais, de soleil et de pluie, de végétation, de mouvement, bref d’activités en plein air. Il serait bien plus utile de dépenser l’argent public pour démonter ces élevages en claustration. Qui parle d’innovation ?

Monsieur Hulot, arrêtez les frais d’un système dépassé !

 

Anne Vonesch
Vice-présidente d’Alsace Nature et animatrice du Collectif Plein Air

 

 

[1] http://www.franceagrimer.fr/fam/content/download/50545/485653/file/D%C3%A9cision%20modificative%20INTV-SANAEI-2017-21%20du%2023%20mars%202017.pdf

[2] http://circulaires.legifrance.gouv.fr/pdf/2017/05/cir_42253.pdf   et http://agriculture.gouv.fr/sites/minagri/files/documents/pdf/SA_39618_Investissements_production_primaire_cle83ff1d.pdf