Le Bas-Rhin est désormais parsemé de poulaillers industriels. C’est l’œuvre du récent lauréat du Prix de l’entrepreneur 2014 pour l’Est, décerné par EY qui encense la croissance de l’entreprise. Ce que la fascination du chiffre occulte, c’est le manque d’ambition du cahier des charges régissant ces poulets.
Les poulaillers industriels sont installés avec le conseil technique du vendeur de l’aliment (Costal), entre 30 000 et 70 000 poulets sur un site. Certains villages acceptent sans brancher, ailleurs les riverains s’opposent, voire se plaignent des nuisances déjà existantes. A Hohatzenheim, les opposants ont obtenu une prescription améliorant le filtrage de l’air émis. La doctrine de l’Etat est de développer la production française, face aux importations. Du volume, sans ambition.
Visionnaire, selon EY. Tant que cela ?
Là où autrefois travaillaient 11 abattoirs de volailles, il en reste deux (dont un tout petit). Bruno Siebert a tiré son épingle du jeu, dans l’adversité (et, soit dit en passant, dans une zone inondable). Il a développé les volumes, poulets et lapins venant de loin. Incontestablement, la réduction de la distance de transport est une bonne chose (moins de mortalité, moins de perte de poids… et surtout moins de coûts de transport). Avoir opté, pour ces « poulets Siebert », pour une souche à vitesse de croissance intermédiaire est aussi positif ; c’est de loin préférable au turbo-poulet standard. Les pathologies et souffrances (et la faible qualité) du poulet standard sont si évidentes que le poulet « certifié » à croissance intermédiaire a le vent en poupe. Mais il reste entassé à très forte densité, ce qui est incompatible avec tant soit peu de bien-être. Le chargement monte jusqu’à 39 kg de poids vif / m² alors que le maximum acceptable (préservant du bien-être) est de 25 kg. Il y a enlèvement d’une partie des poulets à mi-parcours, ce qui signifie que la très forte densité, qui gène autant les déplacements que le repos, dure environ la moitié de la vie des poulets. Pas question non plus d’un enrichissement du milieu. Quant au transport final, cyniquement, il ne faut pas dépasser 10 % de taux de fractures. Qui contrôle ? Qui compte les boiteux ?
Par ailleurs il ne reste qu’à espérer que l’abattoir Siebert a tiré les leçons de la démonstration, par L214, il y a quelques années, de graves non conformités en matière de protection animale. Curieusement, au tribunal l’affaire avait été classée.
Du poulet au prix du pain
Une fois de plus, nous pouvons « remercier » la grande distribution et la restauration collective pour le naufrage éthique qu’ils mettent en scène, en s’obstinant à vendre ou à servir du poulet au prix du pain. Et accuser la classe politique en raison de son incapacité de promouvoir et de développer le poulet fermier (domaine où la France est pourtant leader) – en commençant par les marchés publics. Bruno Siebert abat aussi des poulets fermiers et des poulets biologiques. Il y a besoin de lui. Mais d’un Bruno Siebert plus sensible. Et de cabinets d’audit plus visionnaires.