Réconcilier l’élevage, l’environnement et la société ?
La solution sera économique ou ne sera pas. Le Collectif Plein Air propose 6 actions pour « sauver » les éleveurs et pour concilier l’élevage, l’environnement et la société :
- Remédier au déficit démocratique
- Mettre la santé, le bien-être et l’avenir humains au centre du système agro-alimentaire et discerner entre les vrais besoins et l’inutile
- Revenir à la bonne qualité de l’eau et de l’air et des sols, et préserver le climat
- Revisiter l’objectif de la compétitivité économique
- Mettre le bien-être des animaux au centre des systèmes d’élevage
- Rendre les aides cohérentes pour rendre viable de produire MOINS et MIEUX
1. Remédier au déficit démocratique
- organiser un vrai débat public et démocratique et bien informé pour une construction collective du système agro-alimentaire de demain, en fonction des besoins nutritionnels réels, de l’intérêt collectif, d’une rémunération juste, de conditions de travail décentes, et de critères éthiques de respect y compris pour l’animal et la nature
- réformer les procédures d’autorisation des installations classées d’élevage :
- en prenant en compte les avis du public.
- en insérant la consultation du public en amont du permis de construire et de l’autorisation d’exploiter, afin que les projets puissent encore être modifiés, et pas seulement à la marge, en fonction des avis exprimés (alors qu’aujourd’hui, au moment de l’enquête publique, le projet, avec son permis de construire, est figé),
- de manière à ce que les responsabilités soient partagées, sur un territoire, par le dialogue et la co-construction, en particulier en faveur de l’agriculture biologique,
- en publiant le dossier intégral (pour l’autorisation et pour l’enregistrement) sur internet, avec des délais de consultation raisonnables,
- en exigeant une justification argumentée du projet, incluant une comparaison avec des systèmes alternatifs, en particulier biologiques,
- en intégrant l’amélioration du bien-être animal pleinement dans la procédure,
- permettre aux communes de refuser une ferme-usine.
2. Mettre la santé, le bien-être et l’avenir humains au centre du système agro-alimentaire et discerner entre les vrais besoins et l’inutile
- Reconstruire notre système alimentaire sur la base des besoins réels en termes d’alimentation saine et équilibrée sans excès ni gaspillage, et en toute indépendance envers l’industrie agro-alimentaire et en écartant tout conflit d’intérêt
- réduisant de ce fait sensiblement la part des produits d’origine animale
- et en développant les aliments peu transformés et riches en micronutriments
- réduire massivement les pertes d’azote réactif (ammoniac impactant la santé publique, protoxyde d’azote impactant le climat, nitrates impactant l’eau) en sortant d’une fertilisation excessive et inappropriée, en réduisant le cheptel en excès, en réduisant les importations de soja, en mettant fin au gaspillage
- réduire l’impact sur le climat par une approche globale et cohérente à la place de mesures ponctuelles de faire-semblant, pérennisant une (sur)production problématique
- sortir des pesticides
- assurer les financements de la conversion et du maintien de l’agriculture biologique dans la durée,
- donner mission à la recherche et la pratique agronomiques de sortir des pesticides et développer de nouvelles techniques agro-écologiques,
- construire les débouchés pour des filières diversifiées, issues d’un renouveau agricole sans pesticide,
- réduire massivement la part de céréales utilisées pour l’alimentation animale (près de deux tiers des céréales utilisées en Europe sont dédiés à l’alimentation animale ; ainsi les rendements maximisés par l’agro-chimie sont liés à ce débouché),
- orienter les activités d’élevage vers des systèmes qui ne font pas d’usage systématique d’antibiotiques (sevrage précoce, hyper-productivité, stress de séparation et transport…) ni de biocides dangereux,
- limiter les activités d’élevage à des systèmes et à des dimensions qui ne génèrent pas de nuisances significatives en intensité et/ou durée,
3. Revenir à la bonne qualité de l’eau et de l’air et des sols, et préserver le climat
- priorité à l’environnement et à la santé publique :
- prioriser et atteindre les objectifs de qualité pour l’eau,
- prioriser et atteindre les objectifs de qualité pour l’air, en particulier réduire les émissions d’ammoniac (afin de respecter les valeurs guides de l’OMS pour les particules fines) lors des arbitrages politiques, au niveau national comme au niveau européen, au lieu de se laisser piloter par les groupes de pression,
- protéger tous les riverains quels qu’ils soient (car chacun peut être vulnérable) contre tout impact de traitement pesticide avoisinant,
- accélérer les conversions à l’agriculture biologique en assurant les aides à la conversion et au maintien,
- mettre en œuvre le renouveau de l’agronomie par l’agroécologie et atteindre la liaison au sol de l’élevage sur un périmètre territorial pertinent,
- mettre fin à la délocalisation de notre empreinte environnementale (importation de matières premières, déforestation, émissions, pesticides…),
- améliorer l’instruction des dossiers des installations classées d’élevage :
- clarifier que la mission des autorités compétentes est de protéger l’environnement et la population,
- ne pas rapporter en langue de bois et ne pas minimiser les impacts,
- prendre en compte les réalités concrètes au niveau local et à distance, des émissions, des retombées, de l’état des eaux de surface et souterraines et des milieux naturels sensibles (sans confondre dilution et réduction de la pollution, et sans confondre émissions dans l’air et nuisances olfactives),
- être rigoureux et cohérent au niveau des mesures de protection prescrites :
- prescrire pour les grands élevages les Meilleures Techniques Disponibles (MTD) les plus performantes et ceci dans chaque domaine et à chaque étape de la production, sans faire d’impasse, et sans exempter les élevages existants,
- sortir du gaspillage structurel d’azote réactif dans le cadre du traitement du lisier (élimination dans l’air, sous forme majoritairement non polluante, d’un engrais azoté qui serait précieux s’il n’était pas en excès) une technique obsolète qui a été subventionnée pour augmenter le cheptel breton,
- sortir du gaspillage d’énergie dans les systèmes industriels (par exemple lorsque le sous-produit chaleur de la méthanisation sert à sécher du lisier pour le rendre exportable), mis en place pour maintenir un cheptel trop élevé,
- privilégier systématiquement l’option de réduction du cheptel, en changeant de système, afin de réduire l’impact global (effluents, émissions, empreinte C et N, changement d’utilisation des terres) :
- destiner les cultures en priorité à l’alimentation humaine,
- privilégier les petits élevages fermiers avec des parcours arborés, dont les impacts peuvent être absorbés par le milieu naturel sans usine à gaz technologique,
- lier réduction du cheptel et conversion vers l’agriculture biologique,
- mettre en valeur les services écosystémiques liés à l’extensification,
- valoriser des terres en déprise par l’élevage en plein air,
- défaire la spécialisation régionale en élevage intensif,
- remplacer les soi-disant économies d’échelle par la création d’emplois pour une production et une consommation d’intérêt collectif.
4. Revisiter l’objectif de la compétitivité économique
- œuvrer pour l’abandon de l’objectif de compétitivité économique par la baisse des coûts de production, et le remplacer par un objectif de performance globale : sociale, environnementale, et de bien-être animal,
- en matière de statistiques agricoles (qui sauf exception se limitent aux tonnages, aux têtes, et aux valeurs), intégrer des aspects sociaux, environnementaux, de santé publique et de bien-être animal,
- prendre en compte l’impact sur la santé (durée de vie perdue, morbidité, coût)
- rendre transparents les emplois détruits,
- prendre en compte les conditions de travail,
- notamment en matière d’aides agricoles, soutenir la performance globale, au lieu de soutenir la soi-disant compétitivité dans un modèle insoutenable,
- mettre fin aux distorsions de concurrence au sein de l’Union européenne et par l’importation de produits en provenance de pays tiers qui n’appliquent pas les mêmes règles,
- appliquer les lois européennes – prétendument si rigoureuses – en Europe,
- positionner les productions françaises et européennes comme des produits de qualité supérieure aux normes minimales en termes d’environnement et de bien-être animal,
- encadrer les volumes de production en fonction des besoins, vu que le marché n’en est pas capable,
- résister aux sirènes des marchés à l’exportation dont les aléas sont connus, surtout tant que la protection de l’environnement et des animaux n’est pas acquise,
- aviser de la fin des aides publiques en cas de crise, ceux dont la surproduction et la spéculation sur l’export ont contribué à la baisse des prix, et protéger les petits producteurs qui en sont les victimes,
- poursuivre transparence et moralisation des pratiques commerciales
- rendre transparents les prix et les marges,
- renforcer la répression des pratiques commerciales déloyales,
- lier la contractualisation de prix « justes » à des pratiques respectueuses envers les hommes, les animaux et l’environnement,
- imposer des conditions de travail décentes tout au long de la chaîne de valeur, et en particulier ralentir les cadences en abattoir,
- dans l’objectif consensuel d’une répartition plus juste de la valeur ajoutée sur toute la chaîne de valeur, attribuer une part aux animaux, qui sont tout en bas de l’échelle, pour financer l’amélioration de leur bien-être,
- informer le grand public
- mettre en place un étiquetage obligatoire sur les conditions d’élevage,
- rendre obligatoire la publication sur internet des cahiers des charges (en dehors de techniques ou de recettes de fabrication confidentielles) dès qu’un cahier des charges est évoqué dans la communication sur un produit,
- expliquer au grand public les coûts de production en fonction des conditions d’élevage.
5. Mettre le bien-être des animaux au centre des systèmes d’élevage
- appliquer la loi !
- appliquer les directives européennes qui ne sont pas des « directives bien-être » mais des directives relatives à des normes minimales,
- appliquer les Recommandations du Comité permanent du Conseil de l’Europe, celles-ci faisant partie de la législation européenne,
- appliquer l’article L214 du code rural : Tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce.
- établir des liens efficaces entre une expertise indépendante et l’amélioration du bien-être animal dans les fermes
- mettre en place une expertise qui soit indépendante des filières animales, avec la mission claire d’améliorer le bien-être animal,
- évaluer la pertinence et l’efficacité des travaux de recherche et de développement financés par des budgets « bien-être » (certains de ces travaux relèvent plutôt du blocage et/ou sont inutiles, en particulier lorsqu’ils s’acharnent à étudier des conditions d’élevage qui sont pourtant reconnus comme étant incompatibles avec le bien-être),
- développer la formation sur le bien-être animal, à tous les niveaux professionnels et hiérarchiques, sans se limiter à des aspects sanitaires et réglementaires,
- mettre en place dans chaque Chambre d’agriculture une section « Innovation – Bien-être animal » et introduire des compétences en éthologie, avec par exemple, parmi les priorités pour les porcs, l’abandon de toute fixation des truies y compris en maternité, l’apport de matériaux manipulables abondants et comestibles, l’abandon du caillebotis intégral et l’apport de confort physique et thermique, l’agrandissement des cases et la réduction de la densité, l’abandon de l’hyperprolificité,
- mettre enfin le bien-être animal au cœur de la conception des bâtiments d’élevage et de la gestion des effluents, en intégrant plus d’espace, du confort, un enrichissement approprié permettant une occupation, des groupes sociaux adaptés, l’accès au plein air…
- arrêter les tergiversations déplorables et mettre en place soit l’abandon soit l’anesthésie quant aux interventions douloureuses (castration, écornage…),
- mettre une place une cohérence transversale pour le bien-être animal au niveau des différentes stratégies publiques (ADEME, Agences de l’Eau, collectivités…) et ne pas cloisonner l’objectif environnemental et l’objectif du bien-être animal : les deux doivent être atteints, et l’un ne peut pas être sacrifié à l’autre (exemple : financement de méthanisation ou lavage d’air ou traitement des effluents, pour une porcherie en claustration à forte densité sur caillebotis intégral avec cages à truies).
- développer les potentiels d’excellence au lieu de les écraser
- adapter les mesures de biosécurité aux élevages fermiers en plein air pour préserver ce que nous avons de meilleur, au lieu de leur appliquer les « règles » du système industriel mondialisé, abject, de l’aviculture,
- autoriser l’expérimentation de l’abattage à la ferme dans des conditions rigoureuses en matière de compétences et de matériel, pour éviter aux animaux la détresse de la séparation de leur milieu de vie habituel et des souffrances inutiles.
6. Par des aides cohérentes, rendre viable de produire MOINS et MIEUX
- se servir du premier pilier de la PAC pour concilier élevage, environnement et société :
- intégrer les critères de production de l’agroécologie dans la conditionnalité des aides, pour la nouvelle PAC,
- lier toute aide couplée à des conditions environnementales et à du bien-être animal supérieur,
- se servir du deuxième pilier de la PAC pour concilier élevage, environnement et société :
- arrêter toute aide publique aux grands élevages (exemples Wallonie, Baden-Württemberg…), tout en exigeant les Meilleures Techniques Disponibles les plus performantes (hors cas particuliers en plein air), luttant ainsi contre le dumping,
- introduire les aides annuelles au bien-être animal supérieur (Article 33 du Règlement sur le Développement rural),
- conditionner les aides aux bâtiments d’élevage par du bien-être animal supérieur (p.ex. litière, surfaces supérieures, abandon des cages à truies, accès au plein air, pâturage des ruminants…), afin de créer une réelle incitation à extensifier et à diminuer le nombre d’animaux (et pas un menu au choix permettant d’atteindre le plafond des aides quel que soit le projet),
- combiner les diverses aides, dont celles à la transformation, à la commercialisation et à la promotion, pour faire émerger de nouvelles filières vertueuses et viables (MOINS et MIEUX),
- mettre en place une cohérence transversale pour la réorientation de l’élevage
- privilégier l’agriculture biologique,
- engager les différents financeurs (Etat, Agences de l’eau, ADEME, collectivités…) pour créer au besoin des filières nouvelles, respectueuses,
- créer des débouchés par les achats publics,
- construire des partenariats entre Etat, financeurs, entreprises, public engagé, et porteurs de projet, pour que dans nos villages les élevages à créer ou à transformer deviennent plus vertueux, plus respectueux.