Allemagne : l’actuel modèle d’élevage n’est pas durable (1)

poulets CIWF

photo CIWF

La Ministre allemande de l’Environnement Hendricks déclare que le modèle actuel d’élevage intensif n’est pas durable ; elle sait qu’elle a l’opinion publique et les experts avec elle. Elle défend des pistes d’action pour corriger des lacunes réglementaires et abus. Pour le climat, elle veut faire baisser la consommation de viande.

 

Mieux encadrer les élevages industriels

Urbanisme

Il s’agit de supprimer des privilèges dont bénéficie l’élevage industriel. Dorénavant les grands élevages ne pourront être autorisés uniquement lorsque les communes décident d’un plan d’occupation des sols qui correspond.  Les seuils pour que les élevages soient concernés comme ‘grands’ sont de 600 bovins, 1500 porcs à l’engrais ou 30 000 poulets, 15 000 pondeuses, 15 000 dindes.

Empêcher la tactique « salami »

La constitution d’un grand élevage à partir de plusieurs petits ne sera plus licite. La participation du public sera mieux assurée.

Réduire des émissions de poussières, d’ammoniac et d’odeurs

Le Ministère prépare une révision du Guide technique pour la qualité de l’air (TA Luft) qui devra intégrer de nouvelles exigences en matière de bâtiments d’élevage. Il s’agit d’une part d’une alimentation adaptée, et de l’autre de mesures techniques (p.ex. lavage d’air).  Il est aussi prévu d’harmoniser certaines obligations au niveau fédéral.

Changer le droit concernant la protection de la nature, la protection envers les immissions et l’eau

Il est prévu de limiter le retournement des prairies afin de soutenir un élevage extensif et respectueux des animaux. Certains privilèges doivent être supprimés.

Conclusion

L’Allemagne fait face à des problèmes de pollution énormes, associés au dumping social. L’expansion éhontée de ses élevages industriels pousse régulièrement des dizaines de milliers de personnes à manifester dans la rue. Si les rapports de force sont délétères – comme chez nous -, la langue de bois est toutefois un peu moins répandue.  La Ministre de l’Environnement prend parti pour la production dite « paysanne ». En matière d’environnement, et notamment d’émissions, elle veut ‘serrer la vis’ – pour combattre des abus évidents et extrêmes. Pour protéger le climat, elle met les vrais problèmes et les vraies réponses sur la table.

Protéger le climat : diminuer les cheptels

La Ministre de l’Environnement Hendricks a aussi présenté un projet de réduction des émissions de GES à l’horizon 2050 (Klimaschutzszenario 2050). Dans les deux scénarios de baisse des GES (l’un de 80 % et l’autre de 95 %)  la consommation de produits d’origine animale doit diminuer. Pour la viande, les recommandations de la Société allemande de diététique sont prises en compte, qui préconisent 300-600 gr de viande par semaine alors que la consommation actuelle est de 1,1 kg. Le scénario de 95 % prévoit 300 gr de viande par semaine ; par ailleurs dans les fermes le surplus d’azote descend à 20 kg/ha ; et l’agriculture biologique occupe 25 % des surfaces.

Le constat est qu’il n’est pas possible de diviser par deux les émissions de GES de l’agriculture sans réduire la consommation de produits d’origine animale. Cette démarche implique davantage de recherches sur les conséquences en matière de santé, et sur les modes de préparation des aliments. Par ailleurs, l’artificialisation des terres doit être divisée par quatre. Les sols organiques (tourbe) sont protégés et transformées en zones humides et forêts.

Sans surprise, le Ministre de l’agriculture et la profession agricole contestent les projets incisifs de la Ministre Hendricks.

Des voies vers un élevage accepté par la société

C’est le titre d’une expertise de mars 2015, du Conseil scientifique pour la politique agricole (WBA pour Wissenschaftlicher Beirat für Agrarpolitik) auprès du Ministère allemand de l’alimentation et de l’agriculture. On peut souligner, comparé à ce qui se fait en France, que ces experts du WBA sont tous issus du milieu universitaire et de la recherche. Il existe donc en Allemagne davantage de discours d’expertise indépendant des filières agricoles. Or les dernières expertises et scénarios de réduction des émissions de l’INRA et de l’ADEME avaient comme prescription de rester dans le cadre des systèmes de production actuels. Cela reflète en particulier la faiblesse, en France, de l’expertise en matière de bien-être animal et le poids excessif des experts des filières animales qui pilotent de trop l’action des Ministères.

Le constat du WBA est que les progrès en matière d’efficience dans l’utilisation des ressources ont été associés à des déficits majeurs dans les domaines de la protection des animaux et de l’environnement. Le Conseil scientifique considère que les conditions d’élevage actuelles d’une grande part des animaux de rente ne sont pas aptes à perdurer dans le futur (le terme utilisé est zukunftsfähig, ce qui est habituellement traduit par durable). Le WBA a élaboré des lignes directrices et des recommandations. Il préconise un vaste paquet de mesures et un échange intense entre économie, société civile et politique en associant la science. Cela permettrait de contrer la focalisation du débat sociétal sur la dimension des exploitations. D’après l’état des connaissances, la dimension a, comparé à d’autres facteurs (comme la qualité de la conduite) une influence relativement faible sur le bien-être des animaux.

Cette dernière affirmation va sans doute faire bondir plus d’un parmi les contestataires de l’élevage industriel, pour d’excellentes raisons. La question mérite d’être abordée de manière rationnelle ; en effet, il ne faut pas se tromper d’argumentaire. Cela vaut la peine de bien savoir pourquoi on met la barre plus ou moins haute en matière d’attentes sociétales (cage ou case exiguë, vs case spacieuse et confortable avec ou sans parcours extérieur, vs vie en plein air ou vie en liberté, avec, pour chaque cas particulier, la question de l’état de santé, du taux de mortalité et du stress individuel).  Quoi qu’il en soit, toute rupture avec le système industriel standard ne pourra jamais se faire autrement qu’en mode « transition sociétale».

Le WBA retient les objectifs de protection des animaux, de l’environnement et des consommateurs et la compétitivité. Entre ses objectifs existent des synergies, mais aussi des conflits. Cependant les conflits sont souvent moins importants qu’on veut faire croire, p.ex. en matière d’émissions d’ammoniac et d’accès au climat extérieur. De même le conflit entre compétitivité et protection des animaux peut être surmonté, p.ex. par une combinaison entre paiements publics, engagement des filières et opportunités de marché.

Au vu de l’empreinte écologique et de la santé publique, le Conseil d’experts est favorable  à une stratégie de production plus respectueuse des animaux et de l’environnement avec une réduction des volumes consommés. Il faut saisir les opportunités économiques d’un changement.

Plus de détails dans un prochain article.