Le 7 décembre, à Pommeret en Côtes-d’Armor, 150 à 200 personnes ont écouté les victimes des pesticides et ceux qui les défendent. Leur message est fort et sans équivoque. Affaire Triskalia, marées vertes, aliments pour l’élevage industrie: tout est lié !
Pour en finir avec les poisons de l’agro-bizz, que vivent les coquelicots !
« On arrête les « gangsters », on tire sur les auteurs de « hold-up », on guillotine les assassins, on fusille les despotes – ou prétendus tels -, mais qui mettra en prison les empoisonneurs publics instillant chaque jour les produits que la chimie de synthèse livre à leurs profits et à leurs imprudences ? » C’est en ces termes que Roger Heim, directeur du Muséum d’histoire naturelle et président de l’Académie des Sciences, s’adresse au public dans la préface au livre de Rachel Carson, Printemps silencieux. Retenez la date : 1963. Depuis, les empoisonneurs de laboratoire continuent leurs affaires prospères et coulent des jours paisibles.
Plus d’un demi-siècle après, ce 7 décembre à Pommeret, quelques-unes de leurs victimes ont témoigné : hypersensibilité à tous les produits chimiques, nausées, fatigue, éblouissements, maux oculaires, diarrhées, difficultés de coordination de la vue et des gestes. Ils s’appellent Claude Le Guyader, Stéphane Rouxel, Pascal Le Brigand, absent à cause de sa maladie, à porter jour après jour leurs corps meurtri. On en meurt aussi de ces poisons par cancers, par maladie de Parkinson. Et quand ce ne sont pas les pesticides qui empoisonnent les hommes, ce sont des antibiotiques intégrés accidentellement dans la nourriture par le fournisseur d’aliments qui rend malades et tuent les bovins de Christophe Thomas. Et cette agriculture qui ne peut marcher que sur ces deux béquilles chimiques, engrais et phytosanitaires, produit aussi, par effet collatéral, l’hydrogène sulfuré des marées vertes. Claude Morfoisse, père toujours inconsolé, comme Jeanne sa femme, à ses côtés, a décrit dans le détail la tragédie d’un fls terrassé brutalement en 2009 en transportant ces algues en décomposition. Tous ces hommes ne demandaient qu’à travailler, et ils ont été victimes de leur travail. Leurs témoignages simples, émouvants racontaient leurs vies brisées par tout un circuit économique sans foi ni loi, au point de leur demander de garder leurs souffrances pour eux, sans la moindre reconnaissance de leur mal. C’est la double peine : être victime et surtout subir silencieusement son sort pour préserver le fonctionnement de cet empoisonnement généralisé érigé en système.
Ils ont dit non. Ils ont dit à qui voulait l’entendre la misère qui leur était faite.
Premier acte de résistance
Il leur a fallu répéter souvent leur calvaire, car ils ont été peu entendus. Un seul syndicat, Solidaires, a pris leur défense. Serge Le Quéau a porté leur dossier contre Triskalia et la MSA. Il a été rejoint en février 2015 par le Collectif de Soutien aux victimes des pesticides de l’Ouest, créé suite à une émission d’Inès Léraud sur France Inter, racontant « l’affaireTriskalia » ; il est représenté par son président, Michel Besnard et Christian Jouault, victime d’un cancer lié aux pesticides.
Quant aux victimes des marées vertes, elles ont trouvé en André Ollivro une écoute, une assistance et ensuite avec les associations Halte Aux Marées Vertes et Sauvegarde du Trégor le moyen de leur défense.
Deuxième acte de résistance
Ainsi accompagnées, toutes ces victimes sont défendues par Maître François Lafforgue, un avocat tout à leur écoute, disponible et compétent. Il a obtenu des Tribunaux des Affaires Sociales une reconnaissance de leurs maladies professionnelles, pour certains l’accident du travail, des indemnités acquises ou en cours.
Mais toutes ces démarches sont longues et surtout elles se heurtent à l’hostilité des employeurs, des administrations, des politiques, tous unis dans la défense d’un modèle économique impitoyable pour celles et ceux qui travaillent dur, en prise avec tous ces poisons, et pour cela au-bas de l’échelle des salaires.
Troisième acte de résistance
Cette connivence entre secteur privé et secteur public est mise au grand jour par le travail d’enquête fouillé d’une journaliste de terrain particulièrement tenace, Inès Léraud. Au travers de ses émissions de radio et d’une bande dessinée, elle a révélé toute la chaîne de responsabilités dans ces empoisonnements aux pesticides et aux marées vertes érigés en système. Dirigeants d’entreprises, syndicat agricole majoritaire, directeurs d’administration, élus, tous main dans la main pour continuer leurs basses besognes et les dissimuler au public.
Et c’est tout logiquement qu’elle a accepté de participer à cette belle aventure de la création d’un nouveau média d’investigation, Disclose, présenté par un de ses fondateurs, Geoffrey Livolsi. Financée par des dons pour assurer son indépendance, cette nouvelle radiotélévision numérique a été présentée à cette occasion.
Sa tâche est immense, enquêter sur toutes ces affaires au croisement du public et du privé, qui mettent délibérément en jeu la santé humaine ou relèvent de la corruption, et qui ont besoin pour prospérer d’être dissimulées. Plutôt que de divertir le monde, le choix est fait d’aider à le transformer.
Quatrième acte de résistance
Qui de mieux placé pour conclure cette série d’interventions publiques, que François Veillerette ? Infatigable combattant contre les pesticides au sein de l’association Générations Futures qu’il préside, qui mieux que lui peut expliquer l’impact de toute cette chimie de synthèse sur le vivant ? Qui mieux que lui comprend la souffrance qu’endurent tous ces victimes ? Et c’est pour en finir avec ces poisons, qu’avec son ami de longue date Fabrice Nicolino il a lancé le jour des coquelicots, chaque premier vendredi de mois devant les mairies, avec un appel prolongé par une pétition pour que les pouvoirs publics retirent tous ces produits toxiques :
Cinquième acte de résistance porté à l’échelle nationale
C’est lui d’ailleurs qui se réjouira de toutes ces actions communes contre un lobby politicoéconomique mortifère et qui en parlera comme faisant toutes partie d’un système de la résistance contre ces empoisonnements permanents et délibérés de nos vies et de notre environnement.
La parole est alors à la salle et elle s’en est bien servie. Exploitant de la Confédération paysanne conscient des risques pris par l’usage des pesticides, qui demande du temps pour pouvoir s’en passer. Exploitant en agriculture biologique qui lui répond en lui disant que lui s’en est passé et qu’il vit bien. Pépiniériste qui raconte longuement comment il a baigné dedans et a cherché à en sortir. Employé de collectivités locales qui s’étonne de retrouver dans un détergent domestique la même molécule que celle qu’il n’utilise plus pour traiter les parterres communaux. Pisseur de glyphosate qui demande à chacun de faire analyser ses urines pour pouvoir ensuite porter une plainte collective contre les administrations qui ont accordé l’autorisation de mise sur le marché de cette molécule. Apiculteurs désespérés devant la mortalité massive des abeilles dans leurs ruches et qui se heurtent à l’inertie des pouvoirs publics. Etudiant dans une école d’agriculture qui raconte combien on lui parle de bio dans ses études, mais à qui on continue à enseigner les méthodes conventionnelles d’agriculture intensive gourmande en phytosanitaires, seul terme accepté pour parler des pesticides. Bref, la salle inscrit le sixième acte de la résistance.
Le septième nous attend …
… la fin de tous les poisons de l’agriculture intensive hors sols et l’interpellation judiciaire de tous les empoisonneurs. Qu’importe la longueur du chemin, n’oublions jamais vers où nous avançons.
Restait alors à conclure cette exceptionnelle soirée par la remise d’un bouquet de coquelicots aux défenseurs des victimes, François Lafforgue, et à l’initiateur de l’appel des coquelicots pour la sortie des pesticides et de l’agriculture intensive hors sols, François Veillerette.
Yves-Marie Le Lay, président de Sauvegarde du Trégor