Les émissions des élevages polluent l’air. Elles touchent l’intérieur des bâtiments d’élevage et l’environnement à proximité et sont aussi transportées à distance.
Une brochure de l’ADEME (2012) sur les émissions aériennes de l’agriculture fait le point sur le sujet. L’agriculture produit, en France, 48 % des particules suspendus dans l’air (près de 10 % des particules fines) et 97 % des émissions d’ammoniac. La part de l’élevage est de 20 % en ce qui concerne les particules fines d’origine agricole. Les déjections animales seraient à l’origine de 77 % des émissions d’ammoniac. Le protoxyde d’azote, beaucoup plus faible en volume mais puissant gaz à effet de serre, est surtout émis à partir des sols fertilisés, mais aussi directement par les effluents (lisiers et litières).
Des concentrations élevées d’ammoniac ont un effet direct sur la santé humaine et animale. Mais l’ammoniac est aussi un précurseur important de particules fines, en combinaison avec les oxydes d’azote issus des combustions ; il peut ainsi provoquer un impact sanitaire comparable aux particules issus du Diesel.
Les retombées d’ammoniac contribuent à l’acidification des milieux et à l’eutrophisation des écosystèmes aquatiques.
Air, eau, sols, plantes, animaux : tout communique, mais trop c’est trop !
Dans le cadre de la Convention sur la pollution atmosphérique transfrontalière à longue distance, le protocole de Göteborg de 1999 oblige les Etats à réduire leurs pollutions à des seuils définis. L’ammoniac est fortement concerné. En effet, alors que l’attention était surtout portée sur les risques de pollution de l’eau par les effluents d’élevage (mais ceci sans les résultats favorables escomptés !), c’est aujourd’hui la pollution de l’air qui est de plus en plus dans le collimateur, sans que l’impact sur l’eau ne soit résolu pour autant. Il n’y a rien de surprenant à cela : la masse d’azote est là, indispensable au cycle de vie des végétaux et des animaux qui sont poussés dans une logique productiviste. Or, dans les milieux environnants, les compartiments gazeux, liquides et solides sont des vases communicants. Il faut, obligatoirement, les prendre en compte de manière simultanée. En effet, il ne sert à rien de protéger l’eau en polluant l’air, ou l’inverse.
La révision du Bref européen : libre cours à l’industrialisation du vivant ?
Les émissions aériennes sont particulièrement visées par les « Meilleures Techniques Disponibles » (MTD) qui deviennent obligatoires pour les grands élevages relevant de la directive IPPC-IED. Cette directive cible les grands élevages définis ainsi : > 750 truies ou > 2 000 porcs en engraissement ou > 40 000 volailles. Ces MTD sont décrites dans un document de référence européen appelé Bref, et téléchargeable en français sur le site de l’Ineris où vous trouvez aussi le résumé.
Ce Bref est en révision. Cette révision est un enjeu considérable, puisque les obligations qui seront retenues conditionneront les procédures d’autorisation des élevages industriels de porcs et volailles. La première version révisée, publiée (en anglais) sur le site du Bureau IPPC en août 2013, propose d’accepter beaucoup de choses, au libre choix, en tant que MTD. Cette version ‘light’ sera soumise à la relecture et au débat des experts en novembre 2014. Il faut savoir que chaque Etat essaie de protéger ses éleveurs industriels contre l’augmentation des coûts de production ; c’est un enjeu de bilan commercial. Par ailleurs les industriels de l’amont placent leur technologies et produits, en alimentation animale et en matière de traitement des effluents. Tout cela dans une tendance générale (soutenue par l’Etat français) à l’agrandissement des unités de productions animales.
Dans le cadre de cette révision, le Bureau Européen de l’Environnement ( BEE : c’est la fédération de structures nationales du genre France Nature Environnement) a présenté 87 commentaires. Vous trouvez ici la synthèse de ces commentaires. Voici les grands enjeux :
- certaines techniques proposées comme MTD sont incompatibles avec les normes minimales de protection des catégories animales concernées. C’est le cas du caillebotis intégral pour les porcs ; le caillebotis intégral n’est nullement interdit par la loi, mais il s’est à ce jour avéré incompatible avec l’accès permanent (pourtant obligatoire) à des matériaux manipulables végétaux suffisants et avec l’abandon (pourtant obligatoire) de la section des queues en routine. il est tragique que les experts de l’Institut Technique du Porc (peu ou pas qualifiés en matière de bien-être animal) aient reçu comme mission, de la part des professionnels, de défendre le caillebotis intégral pour qu’il soit déclaré « MTD », alors que d’autres pays ont déjà abandonné le caillebotis intégral ou sont en tain de le faire. Il y a lieu de confronter ces techniques, quant aux porcs, avec la formation proposée par l’Europe (https://euwelnetpigtraining.org/).
- certaines techniques sont valables mais seulement avec des conditions précises et exigeantes : méthanisation, compostage …
- et il s’agit surtout de donner une chance à des techniques alternatives qui sont beaucoup plus respectueuses des animaux telles que l’élevage des porcs sur paille et avec parcours, et les volailles en plein air et à croissance lente. Mais les performances en termes d’émissions des systèmes alternatifs :
a) sont beaucoup moins bien connues
b) sont beaucoup plus variables notamment en fonction des saisons
c) n’ont pas fait l’objet de financements et de recherches pour explorer leurs potentiels de réduction des émissions, étant plus complexes à étudier qu’un lavage d’air sur une cheminée extraction d’air centralisée ; il faut inclure le comportement des animaux dans un environnement enrichi.
d) n’offrent pas le même appât du gain à des fabricants de technologies de traitement.
Distorsion de concurrence
Un problème tout à fait fondamental et particulièrement destructeur est celui de la distorsion de concurrence. Tout est fait par les pouvoirs publics pour favoriser la « compétitivité » donc les unités les plus grandes et donc la pression sur les prix : économies d’échelle, automatisation, distances de transport et logistique. De même, tout est fait pour désinformer les consommateurs sur la réalité des pratiques, la détresse des animaux, l’impact environnemental, la destruction d’un tissu social, les coûts externalisés. Tout est fait pour que de petites filières (différentes) ne puissent pas communiquer efficacement sur leurs pratiques (différentes) et pour qu’ils croulent sous les surcoûts de transformation et de logistique ; de cette manière elles ne sortiront pas des niches qui leur sont attribuées par la méthode de segmentation (cynique) du marché.
Le consommateur paie, mais ne peut pas choisir en connaissance de cause
La question est complexe. Les techniques de traitement des émissions et des effluents sont aussi très coûteuses, et c’est le consommateur qui doit in fine les payer (à moins que ce soit le contribuable !). Or le consommateur préfère très certainement payer pour de petits élevages qui soient intégrés dans leur écosystème local, sans dépasser les capacités de régulation de ces écosystèmes, plutôt que de payer pour des usines à gaz qui pérennisent la détresse animale.