Porc bio : ça fait mal !

Les juges ont tranché : l’abattage sans étourdissement ne peut pas être ‘bio’, en raison de la souffrance causée. Mais comment se fait-il que la castration et l’écornage à vif seraient ‘bio’ ? Les consommateurs qui l’apprennent seront surpris. L’INAO (responsable) ne semble pas à une non conformité près.

 

Interdiction de l’immunocastration – sans alternative acceptable !

Personne ne peut ignorer ou nier les avancées que l’agriculture biologique apporte au bien-être des animaux. Ce n’est pas une raison pour occulter une dérive. Parce qu’il y a des victimes. Qui ne méritent pas de souffrir aussi inutilement.

Avertissement :  Le présent article, traitant d’un sujet hautement sensible, représente l’avis de Anne Vonesch. Il ne s’agit ni d’un travail ni d’un positionnement collectif (qui nécessiteraient un investissement en temps considérable). Une présentation beaucoup plus complète sur Agriculture biologique et bien-être animal se trouve ici.

Pour l’agriculture biologique française, l’immunocastration a été interdite de manière précipitée lors d’une révision du guide de lecture (2017 et 2018) du règlement bio. Sans qu’une alternative à la castration à vif n’ait été mise en place [1] ! C’est ce dernier point qui est particulièrement grave.

L’immunocastration consiste à injecter (comme un vaccin – ce n’est pas une hormone [2] !) un antigène qui génère un anticorps anti-GnRH, bloquant ainsi l’hormone qui déclenche la puberté. Son avantage est qu’elle évite toute intervention chirurgicale et donc d’une part la douleur et d’autre part toute plaie et entrée de germes. Elle est facile à réaliser. A l’opposé, la castration chirurgicale va de pair avec davantage d’infections, d’antibiotiques, d’arthrites, de saisies. Elle rend l’abandon des antibiotiques plus difficile (et en même temps le marketing « sans antibiotiques »).

La FNAB (Fédération Nationale de l’Agriculture Biologique) a opté pour la pleine douleur et pour les risques associés. Elle a publié un Guide sur l’élevage de porcs biologiques, qui considère même comme obligatoire, lors de la castration des porcelets, d’utiliser une bombe à froid pour limiter la douleur. L’efficacité en est si superficielle qu’il aurait été plus honnête de dire : pour se donner bonne conscience ou pour faire semblant de vouloir limiter la douleur. La FNAB cherche maintenant des financements pour étudier d’autres solutions et en particulier engraisser des mâles entiers… mais personne ne l’empêchait de chercher ces solutions déjà il y a 20 ans ! De nombreuses études sur les mâles entiers existent.

Rigal castration

L’engraissement de mâles entiers (qui n’existe guère en filière bio) est en effet une belle solution, mais ce serait malhonnête de nier ses limites, notamment pour produire des animaux plus âgés.

Quant à l’immunocastration, on peut en débattre. Toujours est-il que le résultat de cette interdiction française en catimini est clair et net : les porcelets qui auraient pu en bénéficier hurlent de douleur !

Le prétexte évoqué pour l’interdiction précipitée est une réponse donnée par la Commission européenne[3] lors d’une réunion dont le compte-rendu détaillé n’est pas rendu public. L’immunocastration ne serait « pas conforme à l’agriculture biologique dans la mesure où :

  • d’une part il influence le comportement des animaux et favorise leur croissance, et
  • d’autre part, le règlement stipule que les traitements vétérinaires ne peuvent être utilisés que pour traiter ou prévenir les maladies. »

Une telle réponse – un avis d’un représentant de la Commission – n’a aucune valeur de texte de loi. Son argumentation ne tient pas debout. Il ne fait pas  le lien avec le règlement bio en ce qui concerne la réduction de la souffrance. L’immunocastration n’influence le comportement pas plus qu’une castration chirurgicale qui est toujours tolérée. La croissance est favorisée pour la seule raison que jusqu’à la deuxième injection les porcs ont une croissance de mâle entier (ce qui évidemment est un argument pouvant intéresser les producteurs). Quant aux traitements préventifs, la bio a toujours accepté les vaccins. L’argument est hypocrite, il fait comme si le problème de la castration n’existait pas. Lorsqu’on commence à fermer les yeux sur des dérogations, beaucoup dépend de l’organisme certificateur (qui est payé par le producteur). La Commission ferait bien d’ouvrir les yeux et les oreilles.

Quant à la nouvelle règlementation bio [4] publiée en juin 2018, elle n’entrera en vigueur qu’en 2021. Elle dit en Annexe II Partie II   sous 1.5.1.2. : « Des médicaments vétérinaires immunologiques peuvent être utilisés. »  Cela est clairement favorable à l’immunocastration. Pourtant certains disent que l’Europe interdira l’immunocastration, au vu des textes discutés en préparation des actes délégués et actes d’exécution qui seront publiés par la Commission européennes d’ici 2021. Encore faut-il que la Commission, si elle veut réellement interdire l’immunocastration (et sans aucun doute, c’est la FNAB qui fait pression dans ce sens) dise comment elle entend assurer que la souffrance est réduite au minimum ! Sous peine de faire voler en éclats les fondements éthiques de la bio.

En attendant une meilleure solution, l’immunocastration qui permet d’éviter à la fois la douleur et la plaie chirurgicale, ne devrait pas être interdite en bio. Elle est d’ailleurs encore utilisée par un grand groupement bio allemand (Naturland) ; d’autres mettent en place l’anesthésie générale par inhalation (modèle suisse). Cette solution ne semble pas progresser en France ; on peut certainement compter sur l’inaction du Ministère.  L’immunocastration serait en effet une solution de facilité, dans la mesure où les éleveurs et les vétérinaires ont la flemme (surtout en France) de mettre en œuvre une véritable anesthésie. Aussi, l’anesthésie générale a un coût. Quant à produire des mâles entiers, cela suppose que le tri et les débouchés pour des carcasses odorantes de mâles entiers soient en place. A noter que seule la Cooperl semble engagée avec succès dans cette voie, profitant de ses gros moyens.

L’immunocastration est un problème de peur : peur de l’opinion publique, au cas où une campagne de dénigrement apparaîtrait. En effet, la FNAB dénigre. L’immunocastration y est abusivement re-nommée castration ‘chimique’ (ce qui dans le sens strict signifie injection d’un produit chimique dans les testicules…). Or l’ANSES confirme bien qu’il s’agit d’un vaccin et qu’il n’y a aucun risque pour le consommateur. Mais les Français sont particulièrement suspicieux envers les vaccinations. Qu’ils se disent bien que l’argument marketing « sans antibiotiques » des produits issus d’élevages industriels (montrant patte blanche avec succès…) s’appuie entre autres sur un plus grand nombre de vaccins. De même il serait malhonnête de faire chauffer l’opinion publique en parlant d’ « hormones » alors qu’il s’agit d’un mécanisme immunitaire. Et comme si l’usage d’hormones en élevage n’était pas monnaie courante (pour synchroniser les chaleurs, déclencher les mises-bas…). Comme si le principal problème des micropolluants dans l’eau ne venait pas de la consommation humaine de médicaments. Non : c’est lorsque, pour une fois, il s’agit de supprimer un acte douloureux, que les oppositions se déchaînent ! et semblent gagner ! Le risque d’être accusé d’utiliser des ‘hormones’ est perçu comme étant un vrai risque pour les affaires. Par contre, personne parmi les Auchan, Carrefour, Lidl et Co n’aurait peur d’être qualifié de tortionnaire de petits porcelets ?  C’est que la campagne « couic » de Welfarm a rapidement été étouffée. Il faudra recommencer…

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[1] Ce n’est pas l’endroit ici de reprendre tout le débat autour de la castration des porcs. Celle-ci se pratique sur les porcs mâles pour éviter une odeur désagréable de la viande à la cuisson, liée aux hormones sexuelles. Cette odeur apparaît sur une minorité de carcasses. Elle peut être dépistée mais ce n’est pas simple, encore faut-il disposer d’un débouché adapté (salaison ou double cuisson…) pour les carcasses odorantes. De nombreux travaux étudient aussi la prévention, par la sélection génétique, l’alimentation, la propreté.

[2] L’ANSES confirme qu’il s’agit bien d’un vaccin et que les composants ne présentent aucune dangerosité pour l’homme.

[3] https://www.produire-bio.fr/articles-pratiques/limmuno-castration-incompatible-lagriculture-biologique/

[4] https://www.inao.gouv.fr/Nos-actualites/Le-nouveau-reglement-europeen-de-l-agriculture-biologique-a-ete-publie